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Le Xinjiang, enjeux nationaux et internationaux

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Le 22 mai 2014 au matin, un attentat fit 31 morts et environ 90 blessés à Urumqi, la capitale de la province autonome du Xinjiang. La province, située en plein cœur de l’ancienne route de la soie, connaît de nombreux troubles, des mouvements séparatistes, et fait peser des risques sécuritaires majeurs tant aux approvisionnements énergétiques chinois, aux infrastructures diverses, qu’aux populations. Quels sont les enjeux des tensions au Xinjiang ?

Le Xinjiang, un terreau indépendantiste

La région autonome, du Xinjiang ou Turkestan oriental s’étend sur près d’1/6ème du territoire chinois (soit 3 fois le territoire français). Il s’agit d’une des cinq provinces autonomes chinoises. Avec environ 22 millions d’habitants, une densité de 13,3 habitants/km2, la région est faiblement peuplée et compte 47 ethnies différentes. La communauté ouïghoure, à majorité musulmane sunnite de rite hanafite, compose la majorité de cette mosaïque ethnique (près de 45%) mais tend à moyen terme à être supplantée par les Hans qui représente aujourd’hui 40% de la population contre 7% en 1950. C’est en 1882 que la région devient une province chinoise. Les populations de l’Ouest sont vite opposées à la souveraineté chinoise. La révolte des Dounganes en 1884 est suivie, près d’un demi-siècle plus tard, de l’instauration d’une première République islamique du Turkestan oriental en 1933 et de la seconde République de 1944 à 1949. Le culte musulman, à l’instar des autres religions, fut interdit durant la Révolution culturelle ; de nombreux Coran furent passés à l’autodafé, des mosquées furent rasées. Longtemps utilisé pour les essais nucléaires, il faut attendre 1996 et la signature (sans ratification) du TICE par la Chine pour voir les essais s’arrêter dans l’Ouest. Afin de faire face aux velléités séparatistes, ancrées dans l’histoire de la région, les autorités de Pékin mirent en place le Bingtuan, un organisme gouvernemental de développement collaborant avec les autorités locales. Cet organisme, à l’origine composé en majorité d’anciens soldats, participe à l’installation de population Hans et investit dans le Xinjiang.

Une région stratégique

Une frange de la population ouïghoure dénonce ce qui est perçu comme une colonisation chinoise et une assimilation forcée détruisant leur héritage culturel. L’exploitation des ressources au profit de l’Est chinois est également dénoncée. La région est riche en hydrocarbures et minerais ; les grands gisements de Tarim, Junggar, Turpan-Hami produisent près de 13% du pétrole extrait sur le territoire chinois et plus de 20% du gaz. La région renferme également de nombreuses ressources en hydrocarbures encore non exploitées ou en voie d’exploitation. L’énergie renouvelable y occupe également une place importante. Les grandes étendues désertiques permettent le développement du photovoltaïque et les grandes plaines, de l’éolien (ferme éolienne de Dabancheng, Hami). En plus de renfermer de nombreuses richesses, le Xinjiang est également un hub énergétique avec le passage du Central Asia Gas Pipeline et du réseau Ouest-Est acheminant les hydrocarbures d’Asie Centrale et de la région vers l’Est chinois. Les régions de l’Ouest ne profitent que de 11% des revenus liés à l’exploitation des hydrocarbures. La région est d’autant plus sensible qu’en cas de conflits maritimes, par exemple autour des récents évènements en Mer de Chine du Sud, le Xinjiang deviendrait, avec la frontière russe et du Myanmar, une des seules interfaces permettant la livraison d’hydrocarbures au premier pays importateur et deuxième consommateur mondial.

La radicalisation du conflit

Face à la colonisation et à l’exploitation des ressources, une opposition radicale, islamisée, s’est développée. Des groupements comme le Mouvement islamique du Turkestan oriental, considéré comme une organisation terroriste par la Chine mais également les Etats-Unis et l’ONU, se développe. Quant à la répression chinoise, elle attise la colère des populations et grossie les rangs des mouvances radicales. Certains cadres se formeraient d’ailleurs en Afghanistan ou en Syrie. En 1997, la répression par l’armée chinoise d’émeutes ouïghoures dans la ville de Yining fit 167 morts. De nombreux attentats furent commis l’année de l’organisation des Jeux Olympique de Beijing et permirent une large médiatisation du mouvement (attentats Urumqi et Kachgar en 2008). Le mois de juillet 2009 marqua un tournant avec des émeutes et affrontements interethniques d’une rare violence faisant plus de 200 morts et 1700 blessés. L’attentat du 28 octobre 2013 place Tienanmen et l’attaque au couteau du 1er mars 2014 à la gare de Kunming ayant fait 29 morts et 143 blessés sont attribués à des séparatistes ouïghours. Depuis, la répression s’intensifie, les autorités chinoises recrutent des policiers ouïghours afin de masquer une ethnicisation des rapports de force mêlant arrestations massives et système de délation.

La Chine comptant près de 20 millions de musulmans, la question ouïghoure est au cœur des préoccupations de Pékin. De plus, une internationalisation de la cause ouïghoure pourrait mettre en péril les intérêts chinois à l’étranger. En cas de répression massive et médiatisée, des évènements récents comme l’enlèvement d’ouvriers chinois par Boko Haram le 17 mai 2014 ou les émeutes antichinoises ayant fait 4 morts la même semaine au Viêt-Nam, pourraient se généraliser, en particulier dans des pays à majorité musulmane ou avec un fort activisme islamiste. Bien que l’indépendance de la région semble improbable, et malgré les investissements chinois pour le développement de la région, les tensions risquent de croitre du fait d’une gestion brutale par les autorités centrales.

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